Les Estouteville appartiennent à la haute aristocratie depuis Robert Grondebuf, quinze générations, mais lépoque est aux titres... On en appelle à la haute justice de Créances, de la succession de Jeanne Paynel, traditionnellement dite comté de Créances443, et à la vicomté de Roncheville, anciennement aux Bertran, passée à la famille par la succession de Marie de la Roche-Guyon. Alors que ses prédécesseurs se sont toujours dits seigneurs de Valmont en premier, lépitaphe de Jacques, c'est à dire sa succession, lui attribue dabord les titres de comte de Créances et vicomte de Roncheville (ci-après). [...] Il teste le 22 janvier 1489/90, en nommant Louise et ses cousins Jean II dE.-Torcy et Jacques dE.-Beynes (ch. 33, 48) ses exécuteurs testamentaires. In nomine Domini, amen. Je Jaques dEstouteville, sain de ma pensee, desirant sur toutes choses le bien et salut de mon ame, fais et ordonne mon testament en la maniere qui ensuit. Premierement. Je recommande mon ame a Dieu mon createur, a la glorieuse Vierge Marie, a monseigneur saint Michiel langre et a tous les benoistz sains et sainctes de paradis. Et des biens que Dieu ma prestez en cest mortel monde, prens la somme de trois cens livres tournois lesquels je vueil et ordonne estre distribuez comme cy aprez sera declaire : pour dire et celebrer des messes, vigilles, prieres et oroisons, la somme de cent cinquante livres. A labbaye et eglise de Vallemont, ou je esliz mon corps estre inhume et mis en sepulture, la somme de cinquante livres tournois488. A la frarie489 monseigneur saint Nicolas dudit lieu de Vallemont, la somme de sept livres dix solz tournois. Aux quatre ordres mendiantes de Rouen, a chacune cinquantes solz. A luvre de labbaye de Saint Ouen de Rouen, dix livres tournois. A labbaye de Hambie, vingt livres. Aux eglises parroissialles dudit Vallemont de Hambie et Chantelou, a chacune soixante solz tournois. A messire Richart Oury, pretre, C. solz490. Et fais et ordonne mes executeurs ma femme et compaigne Loyse dAllebret, monseigneur Jehan dEstouteville, seigneur de Torcy, monseigneur Jehan491 dEstouteville, baron dIvry, prevost de Paris, ausquels et a chacun deulx jay donne et donne puissance et auctorite de ce present testament croistre sans diminuer, et icellui faire et accomplir, et sur le demeurans de mes biens paier toutes mes debtes. Et tout le residu de mesdists biens, je les ay donnez et donne a madite femme et a mes enffans, a laquelle ma femme seulle jay aussi donne toutes ses robes, habillemens, chaynes dor, saintures, colliers, berges, amaulx, pierres precieuses et autres ses bagues pour en faire a son plaisir. Item, jay ordonne que par madite femme sur mes biens soit fait don a mes serviteurs a sa disposition. Et prie et requier a mesdits executeurs faire et acomplir ce present mon testament, lequel je vueil valloir en revocant tous autres par moy fais. Fait et passe devant messire Richart Osmont, pretre, cure de la Poterie492 et chappelain dudit lieu de Vallemont, le XXIIe jour de janvier lan de grace mil IIIIC IIIIXX et neuf, es presences de Jacques du Hestray493, escuier, messires Jehan Leballeur, Pierre de la Borde, Geuffroy de Breville, Richart Lorquilleux, pretres, Jehan le Marinier, Geuffroy Davenel et Jehan le Jallis, ainsi signe Osmont494.
Sépulture Il ne s'est jamais complètement remis de sa blessure et meurt le 12 mars suivant. Il est inhumé à l'abbaye à Valmont, où Louise le rejoint quatre ans plus tard. Leur mausolée était placé entre les piliers de la première travée du chur, à gauche de lautel495. Il ne porte plus aucune inscription, depuis quil a été remanié et raccourci, lors des travaux et translations de 1772, comme on le constate en comparant l'état actuel du monument avec sa reproduction vers 1702 dans la collection Gaignières496 : ont disparu les pilastres qui formaient les angles du soubassement, le dais architectural couronnant les statues, ainsi que la stèle portant les épitaphes gravées. Ce cartel, dressé verticalement aux pieds des gisants, était encadré délégants pilastres décorés et surmonté darmoiries sculptées : le blason des Estouteville supporté par des lions, timbré dun haume de face cimé dune tête de lion. Léquipe Gaignières a relevé les épitaphes sur un second dessin lavé : Cy gist hault et puissant seigneur Mons.r jacques destouteuille cheualier conseillier et chambellan du Roy ne sire, cappitaine de falloize, conte de creances, Visconte et baron de rancheuille, cleuile berneual seig.r et chastellain de Vallemont hambie hotot, les loges, chastelou ; lequel trespassa lan de grace mil iiijC iiiiXX. et neuf le douziesme jour de mars497 ; . Cy gist haulte et puissante dame madame Loyse dalbret femme et espouze dudit seigneur, fille de tres hault et puissant seigneur Mons.r Allain498, Seign.r dalbret et de tres haulte et tres puissante dame madame Katherine de Rohan, laquelle trespassa lan de grace Mil quatre cents quatre vingts et quatorze ; le huictiesme io.r de septembre499 ; dieu leurs veuille pardonner Requiescant in pace _ Amen500
On peut confronter ce texte avec sa version dans le procès-verbal de 1758, où lorthographe paraît avoir été simplifiée : Cy gist haut et puissant seigneur monsr Jacques d'Estoutteville chevalier, conseiller et chambellan du roi notre sire, capitaine de Faloise, comte de Créances, vicomte et baron de Roncheville, Cleuville et Berneval, seigneur et chatelain de Valmont, Hambie, Hotot, les Loges, Chantelou, lequel trepassa l'an de grace mil IIIIC IIIIXX et neuf le deuxe jour de mars501 . . . . Cy gist haute et puissante dame madame Louise d'Albret femme et epouse dudit seigneur fille de trés haut et trés puissant seigneur monsr Allain seigneur d'Albret, et de trés haute et trés puissante dame madame Catherine de Rohan, laquelle trepassa l'an de grace mil quatre cent quatre vingt quatorze, le huitiéme jour de septembre, Dieu leur veuille pardonner502.
Les statues en albâtre, posées sur une table de marbre noir, les représentent probablement fidèlement. De nombreuses traces de polychromie indiquent que le monument était peint. Les yeux des défunts sont ouverts, les montrant prêts à affronter sereinement la mort. Les pieds de Jacques reposent classiquement sur un lion, symbole de force et de courage, et ceux de Louise sur un bélier, symbole de fécondité et dun jugement divin favorable503. Jacques, la tête nue, glabre, les cheveux mi-longs, les mains jointes en prière, est vêtu dun haubert et de jambières darmure sous un tabar armorié. Il est armé dune épée au côté gauche et dune dague au côté droit. Louise, la tête couverte dun voile double, le cou dune guimpe à collerette, porte une longue robe et un manteau aux plis nettement marqués évoquant de lourdes étoffes. Ses mains en prière, brisées, ont disparu. Les niches gothiques du soubassement abritent en façade six statuettes de pierre : une Vierge à l'Enfant, les saints et saintes Jean le Baptiste, Anne et Marie, Adrien, Catherine et Louis. Trois autres statues, très endommagées, ont été rassemblées, probablement lors des modifications de 1772, sur la face gauche du soubassement : Jacques, Barbe et Sébastien. Les colonnettes séparant les niches sont elles-mêmes ornées de petits personnages en pied dans des logettes. Le mausolée a été déplacé à plusieurs reprises, avec le cénotaphe de Nicolas et la dalle funéraire de Robert V (détails et références : t. 1, ch. 4). Il est aujourdhui installé dans le déambulatoire, du côté gauche du chur, à un emplacement très proche de celui quil occupait à lorigine, comme celui de Nicolas. (T. 2 à paraître) 443. Émile SAROT, Le château et le fief de Pirou Le comté-haute-justice et les châteaux de Créances, Coutances, 1914, p. 73-74. [...] 488. Soit un total de 200 livres pour labbaye. Ce qui correspond sans doute à la somme évoquée par Gabriel de la Morandière : De cet acte, dont il ne reste à Valmont que la chemise, nous connaissons une seule disposition, 200 lt. pour un service annuel le jour de sa mort (HMEN, p. 533). 489. Confrérie. 490. Le total est de 261 livres et 10 sols. 491. Jacques. 492. La Poterie-Cap-dAntifer, a. le Havre, c. Octeville-sur-Mer. 493. Dune longue lignée de chevaliers vassaux des Estouteville, attestés depuis lépoque de Philippe Auguste. T. 1, notes 590, 749. 494. Copie contemporaine faite à labbaye de Valmont. Transcription inédite de larchiviste-paléographe Michel Nortier. AD76, J 1087, cf. BnF, ms fr 6190, f° 187. 495. Au côté de l'evangile entre les colonnes ou pilliers de la premiere grande arcade du chur proche l'autel. Procès-verbal de létat des tombes se trouvant dans le chur en vue de travaux, 13 juillet 1758. AD76, 19 H 3, f° 1v-2r. Transcription dans le t. 1, p. 357-361. 496. Gallica, btv1b6907345n. 497. 12 mars 1489/90. 498. Elle est la fille de Jean. Alain est son frère. Ci-avant. 499. 8 septembre 1494. 500. Gallica, btv1b69073462. Majuscules, minuscules et ponctuation respectées, sans présumer de lapparence ni de la teneur du texte original disparu. Concernant les réécritures Gaignières, voir la note 953 du tome 1. 501. Il sagit apparemment dune mauvaise lecture du rédacteur : la version de lépitaphe selon Gaignières donne le 12 mars, comme lobituaire dHambye (HHCA, p. 327), comme Toussaint Duplessis en 1740 (DHN-1, p. 162). 502. AD76, 19 H 3, f° 2r. 503. En référence à ses errements de jeunesse, désormais absouts ? Selon la Genèse, 22:12-13, lange arrête la main dAbraham, mis à lépreuve par Dieu, qui sapprêtait à lui sacrifier son fils unique. Abraham aperçoit alors un bélier retenu par les cornes dans un buisson, le capture et loffre en holocauste à la place de lenfant. Dans la tradition musulmane, cest lange lui-même, messager de Dieu, qui apporte le bélier à Abraham pour quil le substitue à son fils. Au Moyen Âge, un justiciable devait parfois combattre et vaincre un bélier dans une forme dordalie. Dans son article sur Valmont, lérudit Siméon Luce en neutralise le sens en écrivant que cet ovin bien cornu est une brebis, symbole de douceur (La Normandie monumentale et pittoresque Seine-Inférieure, le Havre, 1893, p. 374). Le rédacteur du procès-verbal de 1758 pour sa part reconnaît la masculinité de lanimal-symbole, mais linfantilise en y voyant la figure d'un agneau (f° 2r). Nos anciens et leur inconscient naimaient décidément guère les femmes-hommes... |