Gabriel de la Morandière sous-estime grandement ce personnage et, à la suite du père Anselme, attribue ses faits, particulièrement nombreux, notamment d’émissaire et négociateur royal, soit à son jeune frère Jean sire de Villebon (ch. 42), soit à son père, pourtant mort à Poitiers en 13561015. Jeannet est un des marmousets, conseillers de Charles VI, comme Jean de Montagu dont il est l’ami, et Bureau de la Rivière dont il a été l’écuyer. Ses importants revenus, largement attestés1016, autorisent le ‘seigneur de Luchy et de Charlemesnil’ à doter sa collégiale de dix servants, dont huit chanoines jouissant d’une pleine prébende1017, de multiples biens et intérêts par lui acquis, ce que n’aurait à l'évidence pas permis le seul rapport de ses terres. [...] Picardie
Lors une revue passée au château de Breteuil1035 en mai 1378, ‘Jehannet’ d’Estouteville est le capitaine de 7 chevaliers, 36 écuyers et 17 arbalétriers ‘aux gages du roy’, tous nommés1036. Son rang n’est pas précisé, parce qu’il n’est pas lui-même chevalier : paré des titres autrement prestigieux de varlet tranchant puis de conseiller et écuyer de corps du roi, Jeannet reste écuyer sa vie durant. Gabriel de la Morandière, se référant aux ‘archives de Valmont’, écrit que Jean Ier d’E.-Torcy est nommé, vers 1377, « Capitaine général de Picardie contre les Anglais »1037. Il doit s'agir d'une confusion : il ne semble pas que Jeannet ait jamais eu une telle charge, et il est au moins certain que son père n’est plus en vie à cette époque. [...] Lucy
Dom Bodin signale une charte du 28 décembre 1387 donnée par Charles VI à ‘Jehannet’ d’Estouteville, seigneur de Lucy, Fesques, Ménonval1049 et autres villages des environs, lui accordant certains droits en la forêt de Lucy1050. Dans son testament du 1er novembre 1416, ‘Jehannet’ lègue ses principales seigneuries, Lucy et Charlemesnil, à son neveu Guillaume (ch. 32), fils héritier de son frère Colard décédé. Lucy, plein fief tenu du roi1051, et les terres limitrophes ou voisines qu’il nomme — Épinay, Saint-Germain[-sur-Eaulne], Orival, Auvilliers, Fesques, le Coudroy1052 —, semblent constituer, au moins pour certaines (on sait qu'il étoffe son patrimoine par des acquisitions), son apanage de second fils, issu de la succession de la famille de Torcy : Gautier de Torcy avait en 1337 les patronats d’Épinay et de Puisenval1053. Le Plessis-Notre-Dame
Jeannet possède aussi une terre au Plessis, en la paroisse d’Estouteville[-Écalles]1054, qu’il avoue au roi au titre de sa baronnie de Gournay[-en-Bray] en novembre 13981055. Il ne semble pas qu'elle se soit transmise dans la branche de Torcy par héritage : au tout début du XIIIème siècle, le fief d’Estouteville est passé aux Bouelles. En 1337, c’est J. de Bouelles (descendant de Guillaume d’E.-Stratfield par sa fille héritière Alice ; t. 1, ch. 4c) qui présente à l’église paroissiale Sainte-Trinité d’Estouteville1056. En 1408, ‘Jehannet’ d’Estouteville, seigneur de Charlemesnil, est dit avoir des intérêts ‘en la paroisse Notre Dame d’Estouteville pres Buchy’, avant d’acquérir pour 120 livres, le 19 juillet, les redevances relatives dues à Philippe d’Auxy pour son fief du Bosc-Roger1057. Albert Tougard signale qu’une chapelle Notre-Dame, déjà disparue à son époque, existait sur la terre du Plessis au XVIIIème siècle1058. Cette chapelle n’est pas mentionnée dans le pouillé de 1337, sans doute parce qu’elle n’existe pas encore. Il s’agit donc vraisemblablement d’une création postérieure, peut-être le fait de Jeannet1059. Comme tant d’autres biens, il a pu acquérir sa terre au Plessis, dont on le voit d’ailleurs racheter les redevances pour une somme relativement importante. Il nomme dans son testament Estouteville (jamais Estoutemont...) et [Saint-Martin-]Osmonville voisin, pour l’ordonnancement de ses funérailles, sans précision sur les biens qu’il y possède, sans doute assez réduits, ni le vocable des églises. Hautot-sur-Seine et Bapeaume
Par un acte passé à Paris en novembre 1397, Jeannet achète à Robert de Machaut, avec ses frères Guillaume, l’évêque de Lisieux, et Estout, l’abbé de Fécamp, la terre et fief d’Hautot[-sur-Seine] ; il en a la nue-propriété et ses frères l'usufruit1060. Charles VI lui accorde un délai d’hommage pour Bapeaume limitrophe le 30 octobre 1400, et pour Hautot et Bapeaume le 13 mars suivant, déclarant que ces terres sont tenues de lui ‘en foy et hommage’, et attendu que le dit ‘Jehannet’ est occupé ailleurs par les affaires du royaume1061. À cette époque, un réseau hydraulique se développe en ces lieux du bord de Seine, en aval de Rouen, favorisant l'installation de moulins à blé et à papier, prélude à une industrialisation textile postérieure. On retrouve les deux riches domaines dans le temporel de la collégiale de Charlemesnil1062. [...] Son sceau des années 1370 figure un écu burelé au lion, supporté par deux lions, timbré d’un heaume cimé d’une tête d’homme barbu coiffée d’un bonnet : le géant grotesque de la légende familiale (t. 1, introduction). Dans les années 1380 et ensuite, même cimier, mais les supports ont été remplacés par deux femmes, vêtues d’une robe ceintrée à la taille, les cheveux rejetés en arrière, qui ne paraissent pas être des saintes puisqu’elles n’ont pas d’auréole1070... (T. 2 à paraître)
1015. Il est régulièrement prénommé Jeannet en relation explicite avec Lucy ou Charlemesnil, notamment dans les actes royaux : ci-après. La distinction entre les frères de même prénom est référencée t. 1, ch. 19. Lorsqu’il est explicitement fait mention de Villebon dans les documents contemporains, je ne trouve pas un seul cas où le tenant soit prénommé Jeannet et non Jean. Par exemple, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi dîne à Villebon le 24 septembre 1402, chez ‘Jehan’ d’Estouteville. Dans les textes postérieurs en revanche, la famille d’E.-Villebon paraît avoir récupéré, consciemment ou non — aidée par le fait que Jean le jeune devient lui aussi, une dizaine d’années après son aîné, écuyer tranchant —, le prestige de Jeannet sans descendance en renommant ainsi son ancêtre. Le chartrier du château de Villebon conserve un résumé de 36 documents anciens, analysés après 1486 selon la date du plus récent, dans lequel, en référence à des actes de 1398, 1403 et 1408, Jean Ier d’E.-Villebon est prénommé Jeannet (CV, n° 1/3 et 1/5). Les originaux disparus ne sont pas transcrits ou cités. Le père Anselme et ses copistes ont depuis perpétué la confusion.
1016. De grosses rétributions de milliers de livres tournois et francs-or, jusqu’à 4000 francs en une fois, pour ses services en Languedoc, Angleterre, Tunisie... Ci-après.
1017. En comparaison, la collégiale que son petit-neveu Jean II d’E.-Torcy, considérablement plus pourvu en terres, fonde à Blainville est servie par six chanoines. Ch. 33.
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1035. Oise, a. Clermont, c. Saint-Just-en-Chaussée.
1036. BnF, ms fr 27566 (Pièces originales 1082), n° 27.
1037. HMEN, p. 161. Pas d’autre trace documentaire. Rappelons que le chartrier du château de Valmont, en dépôt aux Archives départementales, est en accès contrôlé par la famille de l’auteur.
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1049. Deux communes jouxtant Lucy.
1050. Robert BODIN, Histoire civile et militaire de Neufchâtel-en-Bray, Rouen, 1885, p. 137.
1051. RFBC, p. 23. Villebon en revanche, le fief marital de ‘Jehan le jeune’, tenu de la baronnie du Chêne-Doré, ne relève pas directement du roi (ch. 42).
1052. BnF, Fonds Moreau, n° 1162, f° 173r-174v, 183v-186r. ‘En esperance que j'ay que monseigneur de Torchy et Blainville donra a Colin son fieux la seignourie de Charlemesnil et Lucy quant il sera en aage’. Colin hélas n’atteindra pas l’âge adulte (ch. 32).
1053. PPR, p. 43 et 44. ‘Espinay supra Mortuum Mare’, sur Mortemer, aujourd’hui un hameau de Sainte-Beuve-en-Rivière. Tous ces lieux répartis autour de Lucy. Voir t. 1, ch. 18.
1054. Ancienne commune rattachée à Buchy, Seine-Maritime, a. Rouen, c. le Mesnil-Esnard.
1055. Pierre BRUSSEL, Dictionnaire des actes d’hommages, aveux des fiefs... de la province de Normandie, AN, PP 24, f° 297.
1056. PPR, p. 14.
1057. Dom Jacques-Louis LENOIR, Bertrand PÂRIS (éd.), Mémoriaux de la Chambre des comptes de Normandie (XIVème-XVIIème siècles), t. 3, Paris, 2010, p. 204.
1058. Joseph BUNEL, Albert TOUGARD, Géographie du département de la Seine-Inférieure — Arrondissement de Rouen, Rouen, 1879, p. 148.
1059. Notre-Dame est aussi le vocable de l’église paroissiale de Lucy.
1060. HGF-8, p. 100.
1061. BnF, ms fr 27566, n° 119-120.
1062. AD76, G 9407.
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1070. BnF, ms fr 27566, n° 20, 22, 31, 67, 92, 96, 104, 105 ; Fonds Clairambault, ms 45, n° 120, 121, 126. ISC-1, n° 3437. ISCT, n° 4314. |
