Sarcophage attribué à Jeanne Paynel († 1437)

 

Sarcophage attribué à Jeanne Paynel

Découvert dans le chœur de l'abbatiale d'Hambye le 19 juillet 1933.
Cliché Léon Sarot. AD50, 9 Fi 2478.

 

Le chanoine Eugène Niobey mène parallèlement des travaux de désenfouissement de l’abbatiale ruinée. Claude Hurel, un habitant d’Hambye âgé de 12 ans en 1933, témoigne :

Il avait un grand charisme et savait mobiliser les énergies. Il réussit à intéresser à ses recherches les cultivateurs de Hambye qui lui fournirent une aide bénévole considérable en mettant à sa disposition une quantité de chevaux, banneaux et ouvriers agricoles qui enlevèrent des tonnes de gravats des ruines de l’abbaye285.

Les travaux commencés dans l’enthousiasme le 19 avril 1933, le chanoine commente :

En 10 jours, le sol fut abaissé de 80 centimètres sur toute la superficie de l’abbatiale, plus de mille charretées de terre furent transportées dans le bief voisin. [...] L’abbaye désencombrée apparaissait désormais dans toute l’élégance de son architecture élancée286.

Plusieurs fragments de tombes et des ossements sont retrouvés. Le 19 juillet,

sous la pioche prudente des ouvriers, apparut un magnifique sarcophage de pierre blanche287. Il était situé dans l’axe médian du chœur, et même exactement en son milieu géométrique. Il contenait un squelette bien conservé, que le Dr Quesnel déclara être celui d’une femme. La tête, logée dans une alvéole, était légèrement rejetée en arrière, comme si elle s’était affaissée après la disparition d’une abondante chevelure288 ; les bras étaient repliés de manière à ramener les mains croisées sur l’abdomen ; aucun os ni osselet n’avait été déplacé ; un peu de poussière brune était tout ce qui restait de la chair et du vêtement de la défunte.

Les érudits convoqués, dont Paul Le Cacheux, conviennent qu’à cet emplacement ce sarcophage sans inscription doit être celui de Jeanne Paynel289. Après une interruption le temps des moissons, les fouilles reprennent en septembre. On découvre bientôt un second sarcophage, aussi dépourvu d’inscription, attribué à Louis d’Estouteville, ainsi que, enterrés tout près des cercueils de pierre, deux urnes de plomb en forme de cœur.

Le premier, pesant 26 kilogs, contenait une seconde boîte en plomb dans laquelle était un cœur d’adulte enveloppé dans un linge et un parchemin et parfaitement embaumé ; quelques grains d’encens étaient encore intacts. Le deuxième reliquaire, plus petit et de forme plus élégante, semblable à un médaillon de 25 centimètres, était rongé par l’humidité ; aussi, le cœur humain n’était plus qu’une masse informe. [...] Ils étaient près de leurs sarcophages, le plus petit, en forme de médaillon, non loin de Jeanne Painel, l’autre touchant Louis d’Estouteville290.

Sursum corda ! Les tribulations du viscère attribué à Jeanne Paynel — bien qu’il semble s’agir de celui trouvé près du sarcophage attribué à Louis — commencent... Claude Hurel poursuit :

La trouvaille du cœur en plomb suscita une vive excitation parmi ses découvreurs et les responsables des fouilles, qui décidèrent aussitôt de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. On fit donc venir d’urgence un plombier avec sa scie à métaux, qui découpa soigneusement la partie supérieure des reliquaires. On y trouva un cœur embaumé ; aussitôt dégagé du linge qui l’avait conservé pendant des siècles, il fut peu après immergé dans un grand bocal cylindrique en verre, hermétiquement clos, rempli d’alcool ou de formol. Quelques semaines ou mois plus tard, c’est-à-dire en 1933 ou 1934, j’y ai vu un triste morceau informe de tissu humain, jaune clair, flottant dans un liquide jaunâtre devenu déjà trouble par suite d’un début de désagrégation du cœur.

Le cœur, trouvé dans le sol de l’abbaye, appartenait de ce fait au propriétaire des lieux de l’époque qui en assura une garde intéressée. Le bocal était rangé sur une étagère près de sa cuisine, avec les pots de confiture, et il était montré aux nombreux visiteurs de l’abbaye moyennant quelques pièces de monnaie. Le bocal était exhibé et manipulé sans ménagement, ce qui ne contribua guère à la bonne conservation de son contenu. Quand Monsieur et Madame Beck devinrent propriétaires de l’abbaye en 1957291, ils purent récupérer la précieuse relique. Elle avait bien changé après une vingtaine d’années de séjour dans son bocal ; le cœur était devenu une grosse masse spongieuse qui occupait presque tout le volume du récipient. Il fut alors décidé avec le Service des Monuments historiques d’enterrer le cœur dans une chapelle de l’abbaye, lui permettant de retrouver sa place dans un haut-lieu qu’il n’aurait sans doute jamais dû quitter.

(T. 2 à paraître)


285. Claude HUREL, notes manuscrites de mars 2000 jointes à son intégrale reliée du Bulletin des Amis de l’abbaye de Hambye. Collection C. A.
286. HHCA, p. 412.
287. Clichés des fouilles, du sarcophage et de son contenu : Fonds Léon Sarot, AD50, 9 Fi 2480, 9 Fi 2478.
288. Ou d’une coiffe, ou d'un coussin.
289. HHCA, p. 417.
290. Compte-rendu des découvertes par Eugène Niobey, un peu trop catégorique sur l'identification. HHCA, p. 430-431.
291. 1956. Elisabeth Beck († 2010) fit énormément pour la restauration de l’abbaye, notamment en rassemblant les éléments architecturaux dispersés.

 
 

Sarcophage attribué à Jeanne Paynel

‘Les travailleurs découvrent le sarcophage de Jeanne Painel (19 juillet 1933)'.
Le chanoine Niobey est au second rang à droite, en soutane.
Cliché Léon Sarot.
Bulletin des Amis des l'abbaye de Hambye n° 4, Noël 1936.

 
 
Sarcophage attribué à Jeanne Paynel
Sarcophage attribué à Jeanne PaynelSarcophage attribué à Jeanne Paynel
Sarcophage attribué à Jeanne Paynel