Le chanoine Eugène Niobey mène parallèlement des travaux de désenfouissement de labbatiale ruinée. Claude Hurel, un habitant dHambye âgé de 12 ans en 1933, témoigne : Il avait un grand charisme et savait mobiliser les énergies. Il réussit à intéresser à ses recherches les cultivateurs de Hambye qui lui fournirent une aide bénévole considérable en mettant à sa disposition une quantité de chevaux, banneaux et ouvriers agricoles qui enlevèrent des tonnes de gravats des ruines de labbaye286.
Les travaux commencés dans lenthousiasme le 19 avril 1933, le chanoine commente : En 10 jours, le sol fut abaissé de 80 centimètres sur toute la superficie de labbatiale, plus de mille charretées de terre furent transportées dans le bief voisin. [...] Labbaye désencombrée apparaissait désormais dans toute lélégance de son architecture élancée287.
Plusieurs fragments de tombes et des ossements sont retrouvés. Le 19 juillet, sous la pioche prudente des ouvriers, apparut un magnifique sarcophage de pierre blanche288. Il était situé dans laxe médian du chur, et même exactement en son milieu géométrique. Il contenait un squelette bien conservé, que le Dr Quesnel déclara être celui dune femme. La tête, logée dans une alvéole, était légèrement rejetée en arrière, comme si elle sétait affaissée après la disparition dune abondante chevelure289 ; les bras étaient repliés de manière à ramener les mains croisées sur labdomen ; aucun os ni osselet navait été déplacé ; un peu de poussière brune était tout ce qui restait de la chair et du vêtement de la défunte.
Les érudits convoqués, dont Paul Le Cacheux, conviennent quà cet emplacement ce sarcophage sans inscription peut être celui de Jeanne Paynel290. Après une interruption le temps des moissons, les fouilles reprennent en septembre. On découvre bientôt un second sarcophage, aussi dépourvu dinscription, attribué à Louis dEstouteville, ainsi que, enterrés tout près des cercueils de pierre, deux urnes de plomb en forme de cur. Le premier, pesant 26 kilogs, contenait une seconde boîte en plomb dans laquelle était un cur dadulte enveloppé dans un linge et un parchemin et parfaitement embaumé ; quelques grains dencens étaient encore intacts. Le deuxième reliquaire, plus petit et de forme plus élégante, semblable à un médaillon de 25 centimètres, était rongé par lhumidité ; aussi, le cur humain nétait plus quune masse informe. [...] Ils étaient près de leurs sarcophages, le plus petit, en forme de médaillon, non loin de Jeanne Painel, lautre touchant Louis dEstouteville291.
Sursum corda ! Les tribulations du viscère attribué à Jeanne Paynel bien quil semble sagir de celui trouvé près du sarcophage attribué à Louis commencent... Claude Hurel poursuit : La trouvaille du cur en plomb suscita une vive excitation parmi ses découvreurs et les responsables des fouilles, qui décidèrent aussitôt de voir ce quil y avait à lintérieur. On fit donc venir durgence un plombier avec sa scie à métaux, qui découpa soigneusement la partie supérieure des reliquaires. On y trouva un cur embaumé ; aussitôt dégagé du linge qui lavait conservé pendant des siècles, il fut peu après immergé dans un grand bocal cylindrique en verre, hermétiquement clos, rempli dalcool ou de formol. Quelques semaines ou mois plus tard, cest-à-dire en 1933 ou 1934, jy ai vu un triste morceau informe de tissu humain, jaune clair, flottant dans un liquide jaunâtre devenu déjà trouble par suite dun début de désagrégation du cur. Le cur, trouvé dans le sol de labbaye, appartenait de ce fait au propriétaire des lieux de lépoque qui en assura une garde intéressée. Le bocal était rangé sur une étagère près de sa cuisine, avec les pots de confiture, et il était montré aux nombreux visiteurs de labbaye moyennant quelques pièces de monnaie. Le bocal était exhibé et manipulé sans ménagement, ce qui ne contribua guère à la bonne conservation de son contenu. Quand Monsieur et Madame Beck devinrent propriétaires de labbaye en 1957292, ils purent récupérer la précieuse relique. Elle avait bien changé après une vingtaine dannées de séjour dans son bocal ; le cur était devenu une grosse masse spongieuse qui occupait presque tout le volume du récipient. Il fut alors décidé avec le Service des Monuments historiques denterrer le cur dans une chapelle de labbaye, lui permettant de retrouver sa place dans un haut-lieu quil naurait sans doute jamais dû quitter.
(T. 2 à paraître) 286. Claude HUREL, notes manuscrites de mars 2000 jointes à son intégrale reliée du Bulletin des Amis de labbaye de Hambye. Collection C. A. 287. HHCA, p. 412. 288. Clichés des fouilles, du sarcophage et de son contenu : Fonds Léon Sarot, AD50, 9 Fi 2480, 9 Fi 2478. 289. Ou dune coiffe, ou d'un coussin. 290. HHCA, p. 417. 291. Compte-rendu des découvertes par Eugène Niobey, un peu trop catégorique sur l'identification. HHCA, p. 430-431. 292. 1956. Elisabeth Beck, décédée en 2010, fit énormément pour la restauration de labbaye, notamment en rassemblant les éléments architecturaux dispersés. |