Portrait de Marguerite d'Orléans, Mademoiselle d'Estouteville

 

Portrait de Marguerite d'Orléans

La seconde des quatre filles de Marie de Bourbon et de Léonor d'Orléans (1567 /1615).
Dessin aux trois crayons de François Quesnel (
c. 1602). BnF.

 

Avec sa sœur Marguerite, elle fonde encore, le 2 avril 1613, le prieuré de bénédictines de la Ville-l’Évêque2498, dépendant de l’abbaye royale Notre-Dame de Montmartre2499. Selon les registres des insinuations du Châtelet, ce même 2 avril, les hautes et puissantes princesses Catherine d'Orléans, ‘damoiselle de Longueville’, et Marguerite d'Orléans, ‘damoiselle de Touteville’, donnent aux religieuses de Montmartre deux maisons avec jardins et terres à la Ville-l'Évêque2500. Aînées de leur frère Henri, nées après deux garçons qui n’ont pas survécu, elles ont apparemment reçu ces titres par anticipation d'une succession possible, qui ne s'est finalement pas produite. Robert Berée, avocat fiscal à Étrépagny de 1658 à 1667, livre un témoignage qui illustre bien, en quelques traits, la vie d’une grande aristocrate sur ses terres à cette époque. Fils d’Hélène d’Abancourt, demoiselle d’honneur de Catherine d’Orléans, et de Léonor Berée, son avocat et procureur fiscal à Étrépagny, il tenait les faits et anecdotes qu’il relate de ses parents et de son grand-père, aussi procureur des Orléans.

Mademoiselle de Longueville estoit si altière qu'un jour, Madame Gabrielle2501 ayant osé prendre le pas devant Madame de Longueville, elle lui avoit donné un soufflet de sa pantouffe en luy disant : “Vous estes bien hardie de passer devant Madame ma mère.” [...] Elle demeuroit ordinairement à Estrépagny. La comtesse de la Rocheguyon, sa niepce2502, y estoit aussy souvent, et il y avoit toujours bonne compagnie chez elle, mesme des princes et d'autres gens de la cour que le mérite de Mademoiselle de Longueville attiroit. Et quoyqu'elle ne jouist que de viron 25,000 liv. de rente, elle ne laissoit pas de bien régaler. Elle aymoit la musique ; on la chantoit de son temps dans l'église d'Estrépagny où elle donna des livres imprimez au chant et office de Rome. [...] J'ay veu un couvert d'un vieux érable où elle venoit chanter tous les soirs, en été, avec ses demoiselles et les plus considérables et jolies filles du bourg. Quand elle estoit à Estrépagny, elle s'y mesloit de toutes choses, et on n'auroit ozé y faire un mariage sans son approbation et sans avoir apporté une livrée ou présent de nopces à sa guenon, dont on voit encore la pierre qu'elle fit mettre sur le lieu où elle estoit enterrée dans le chasteau. [...] Mademoiselle de Longueville estoit si populaire qu'elle s'est déguisée en bavolet2503 pour aller danser avec les femmes et filles du pays qui se trouvent le 6e aoust à Heudicourt2504, à l'assemblée de la chapelle de St Sauveur. Elle fit venir du Havre de Grâce2505 des ouvriers en dentelle qui montroient tous les jours à en faire à six jeunes garçons et autant de filles qu'elle alloit voir tous les soirs et menoit un violon pour les faire danser afin de les encourager. Et c'est par là qu'a commencé dans le pays des deux Vexins le négoce de dentelle qui a enrichy tant de marchands et fait subsister tant de familles2506.

Le 28 mai 1630, en souscription d’un acte passé en son hôtel de la Ville-l’Évêque en faveur de sa nièce Catherine de Matignon et de son mari François de Silly, duc de la Roche-Guyon, elle désire signer elle-même ‘encores qu’elle aye perdu la veue’2507. Elle décède le 29 septembre 1638 à Paris, dans l’hôtel de la Roche-Guyon, rue des Bons-Enfants2508. Son corps rejoint celui de sa sœur Marguerite, sous le même tombeau du chapitre du couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques, aujourd’hui disparu, dont elle avait largement contribué à la fondation. Son épitaphe, lue à cette époque par Hilarion de Coste, précise qu’à sa mort elle était âgée de 72 ans 8 mois et 9 jours2509.

(T. 2 à paraître)


2498. Ancien village à l’extérieur de Paris, correspondant aujourd’hui au quartier de la Madeleine.
2499. Henri SAUVAL, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, t. 1, Paris, 1724, p. 664. — Confirmation le 10 par l’évêque de Paris Henri de Gondi (le diocèse ne devient archidiocèse qu'en 1622). Édouard de BARTHÉLEMY (éd.), Recueil des chartes de l'abbaye royale de Montmartre, Paris, 1883, p. 248-252.
2500. AN, Y 153, f° 416.
2501. Gabrielle d’Estrées, maîtresse d’Henri IV.
2502. Catherine de Matignon, pas encore duchesse. Ci-après.
2503. Coiffe de paysanne.
2504. Eure, a. les Andelys, c. Gisors. Limitrophe d’Étrépagny.
2505. Le Havre, fondé par François I
er au lieu de Grâce.
2506. Robert BERÉE, Charles LEGAY (éd.), Charles de BEAUREPAIRE (éd.), La généalogie des seigneurs et dames d'Estrépagny, BSHN-3, 1884, p. 40-43.
2507. AN, Y 170, f° 439v.
2508. BERÉE, ibid., p. 43.
2509. Hilarion de COSTE, Les éloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres..., Paris, 1647, p. 321.

 
 

>>>>> Portrait de Catherine d'Orléans, Mademoiselle de Longueville (1566 / 1638). Dessin aux trois crayons (c. 1602). Anonyme. BnF.