Ancien prieuré de Lancé (XIIème et XVème s.)

 

Ancien prieuré de Lancé (XIIème et XVème s.)

Jean d'Estouteville est en conflit avec les moines. Son sénéchal en brise les portes... 2019.

 

À cette époque, les comtes de Blois se livrent à une véritable campagne d’attaques contre l’abbaye Saint-Martin de Marmoutier620 et leur bête noire, son abbé Geoffroy de Conam (1236-1262). En 1237, Hugues de Châtillon la saccage pour imposer le droit de gîte. En 1243, son fils Jean renouvelle les violences, installe des troupes dans l’abbaye et les prieurés, et en 1249 saisit tous les revenus621. C’est dans ce contexte que Jean d’Estouteville semble prendre le contrôle d’une dépendance de Marmoutier : le prieuré de Lancé622, contigu au Bouchet, dont il usurpe la justice. Les moines font valoir leur bon droit : le 20 janvier 1249/50, l'official de Chartres interdit à Jean et à ses officiers de juger les causes séculières « dans la maison du prieur » sous peine d'excommunication623. Les religieux étant parvenus à fermer leur porte à leur envahissant voisin624, son sénéchal est bientôt accusé de s'être livré à des violences et au pillage. « En l'année du Seigneur 1250, vers la fête de saint Thomas l'Apôtre », 3 juillet, cet officier s’est rendu à Lancé accompagné d’un « grand nombre d’hommes armés ». Après avoir « brisé les portes » de l’établissement, les assaillants se sont emparés du bétail, de meubles et d’instruments aratoires, et ont « violemment agressé, au hasard, le frère Philippe, alors prieur, les moines, serviteurs et hommes du prieuré ». Le préjudice est estimé à 300 livres et Jean est excommunié625... Suite à quoi, « Jean d’Estouteville, seigneur de Valmont », accepte, le 5 juillet 1251, de se soumettre à l'arbitrage de l'abbé de Marmoutier et d'Alphonse de Brienne626, son parent puisqu'il est marié à sa petite-nièce Marie de Lusignan, comtesse d'Eu. Mais le conflit est loin d'être résolu : sept ans plus tard, le 11 avril 1258, le roi Henri III d'Angleterre l'autorise à « traverser la mer », à la condition qu'il envoie deux de ses fils à sa place dans l'armée du Pays de Galles, pour se défendre dans une cause que « l'abbé de Marmoutier » soutient contre lui. La permission cependant ne vaut qu’au cas où le dit abbé n’aurait pas sursis avant la quinzaine de la Saint-Michel, malgré la lettre que lui a envoyée le roi627. Comme Jean meurt quatre mois plus tard, il ne semble pas qu’il soit rentré en France.

(T. 1, p. 151-153)


620. À Tour, Indre-et-Loire.
621. Charles LELONG, Observations et hypothèses sur l'église abbatiale gothique de Marmoutier, dans le Bulletin monumental, t. 138/2, 1980, p. 119.
622. Loir-et-Cher, a. Vendôme, c. Montoire-sur-le-Loir.
623. Auguste de TRÉMAULT (éd.), Cartulaire de Marmoutier pour le Vendômois, Paris, 1893, n° A LXXII. ‘In domo dicti prioris et in atrio suo et in cimiterio ecclesie dicti prioratus tractant, contra libertatem et immunitatem ecclesie, et in prejudicium et gravamen prioris supradicti.’
624. Les moines se sont défendus : accusés suite au raid, Jean et Agnès déclarent que le prieur Philippe et ceux qui l'accompagnaient avaient antérieurement agressé leur sénéchal et ses hommes « d’une manière tout aussi violente ».
625. TRÉMAULT, ibid., n° A LXXIII, LXXVI. ‘Per violentiam et cum armatorum multitudine accesserunt ad prioratum nostrum de Lanceio et portas anteriores et hostia officinarum ejusdem loci fregerunt et violenter intrarunt, nec non bona ibidem inventa, videlicet bladum, vinum, carnes, equos, pecora, culcitas, supellectilia, ustensilia et alia ceperunt, occupaverunt, extraxerunt et consumpserunt injuste, usque ad valorem trecentarum librarum turon, ut dicebamus, et super hoc etiam quod vir ipsius nobilis scilicet dictus senescallus, et alii qui cum eo erant, manus injecerunt temere violentas in fratrem Philippum tunc priorem, monachos, servientes et homines prioratus ejusdem.’
626. Ibid., n° A LXXV. ‘Johannes de Estoutovilla, dominus de Valemont’.
627.
CPR, 1247-1258, p. 623.

 
 

Porte de l'église de Nourray

Porte du XIIème siècle de l'église de Nourray, dépendance du prieuré de Lancé.