Nicolas meurt en 1177342. Il avait son obit à labbaye de Valmont le 22 avril343. Sa tombe, dont on ne sait rien, est probablement détruite pendant la guerre de Cent Ans. Vers la fin du XVème siècle344, un monument commémoratif avec gisant vient la remplacer, installé dans le sanctuaire du côté de l'épitre, où Toussaint Duplessis l'y voit peu avant 1740345. La Collection Gaignières conserve un dessin du cénotaphe exécuté vers 1702346. Les pieds du chevalier reposent sur un lion pacifique accolé à un modèle réduit d'église. Le soubassement est orné de cinq arcs gothiques alignés en façade, qui abritent dans des niches des statuettes. Selon léchelle figurant sur le dessin, la table de pierre portant la statue aurait eu une longueur de 7,2 pieds, environ 2,30 mètres347. Première translation En 1772, en préparation daménagements dans labbatiale, et dans lintention implicite descamoter des sépultures sans doute un peu trop présentes au goût des moines348, plus de deux siècles après la mort dAdrienne (1560), la dernière des Estouteville de Valmont, le monument de Nicolas est déplacé, le 1er mai349, dans une chapelle collatérale qui prend le nom de Saint-Nicolas350. Deux autres mausolées laccompagnent : la tombe de Jacques dEstouteville et Louise dAlbret (t. 2, ch. 27), et la dalle funéraire de Robert V et Marguerite dHautot (ch. 10). Le manque de place impose apparemment que le cénotaphe soit raccourci : deux statuettes sont rabattues sur les faces latérales, et le modèle réduit déglise, dont ni le plan ni l'élévation ne sont ceux de l'abbatiale, suspendu au-dessus du gisant351. En 1829, le peintre Eugène Delacroix, qui trouve en labbaye en partie ruinée un puissant écho à son inspiration romantique, en réalise plusieurs esquisses352. Seconde translation La couverture de lédifice allant se dégradant, les trois sépultures sont à nouveau déplacées, en 1832 ou peu avant, dans la chapelle dabside, dite des Six-Heures. Un dessin original réalisé par Achille Deville pour la Commission des Antiquités en 1832353 les y montre, alors quelles se trouvaient peut-être encore dans la chapelle latérale lannée précédente, si on se fie à un tableau de Delacroix exécuté en 1831, Ruines de la chapelle de labbaye de Valmont354. Qui sait même si lidée de son sujet nest pas venue au chef de file de lÉcole romantique en apprenant que les monuments quil appréciait allaient être déplacés ? Ils vont rester sous labri de la superbe voûte gothique de la Renaissance de labside, qui fait la renommée de labbatiale de Valmont, jusquà la toute fin du XXème siècle. [...] Aujourdhui En 1994, des moniales bénédictines de Lisieux déménagent à Valmont : il faut reconstruire les parties disparues de léglise, la couvrir et libérer labside. Le cénotaphe est déplacé dans le déambulatoire en 1999357, derrière la partie droite du chur, à un emplacement très proche de celui quil occupait à lorigine. Le gisant mesure 1,67 mètre (sans le lion à ses pieds). La statue est en pierre, le visage d'albâtre. Nicolas a les yeux ouverts et les mains jointes en prière358. Il est vêtu de jambières d'armure et d'une cotte de mailles, sous un tabar armorié, et porte au cou une chaîne à gros maillons à laquelle est suspendue une croix359. Il est armé dune épée au côté gauche et dune dague au côté droit. Les statuettes des niches, dune facture supérieure, représentent une Vierge à lEnfant, saint Benoît et deux pleurants bénédictins. Au centre, le blason des Estouteville, bûché360, est présenté par deux lions armés et lampassés. De nombreuses traces de polychromie montrent que le monument était peint. On lit sur le listel en lettres gothiques :
Le cénotaphe est exécuté trois siècles après la mort de Nicolas, ce qui explique les erreurs de l'inscription : on confond la fondation de l'abbaye avec celle du prieuré d'Étoutteville par son père. Quant à la date de 1120, elle se réfère vraisemblablement au décès d'un autre Nicolas, peut-être l'arrière-petit-fils du fondateur, non au XIIème siècle, mais en 1220 (ch. 6). (T. 1, p. 92-98) 342. Annales de Saint-Taurin d'Évreux : MCLXXVII. Obiit Nicolaus de Estotevilla. RHF-12, p. 777. Nicolas est nommé dans les pipe rolls pour Stratfied jusquà la Saint-Michel 1176 et plus ensuite. Note 311. 343. Obit Nicholai primi fundatoris ung libera. HMEN, p. 52, cf. une copie de lobituaire dans les archives de Valmont. Et le 5 novembre : obit Julianae primae fundatricis ung libera. Même date pour Nicolas dans l'obituaire de labbaye dHambye, lacunaire des quatre derniers mois de lannée : 10 kl. maii. Nicholaus dEstoutevilla' (Eugène NIOBEY, Histoire de Hambye, le château, l'abbaye, Saint-Lô, 1940, p. 327). Obit, service religieux anniversaire célébré à la date du décès. Au Moyen Âge, la mort était considérée comme la vraie naissance, en tant que renaissance au royaume de Dieu. Pour cette raison, peu de dates de naissance sont connues. 344. VALLERY-RADOT, ibid., p. 388. Bérénice MAINOT, L'abbatiale de Valmont à la Renaissance, dans PMN, p. 112. Le commanditaire serait donc Jacques dE.-Valmont (1448 / 1490), voire les tuteurs de son fils Jean III (c. 1483 / 1517). 345. DHN-1, p. 161. Il ajoute assez injustement que le mausolée n'a rien que de commun. Le soubassement est au contraire plutôt remarquable... Épître, partie à droite du chur en faisant face à l'autel. Lévangile est à gauche. Le cénotaphe aurait pris la place de la tombe de Robert Grondebuf, reléguée derrière le chur, selon les dires des moines rapportés dans le procès-verbal de 1525 (note 116) : la representacion de feu Robert d'Estouteville, qui avoit este a la conqueste de Jherusalem et qui avoit este ostee du lieu ou estoit la representacion dudict Nicolas leur fondateur. 346. Gallica, btv1b69073447. 347. Pied de Colbert, en vigueur en 1700 : 32,48 cm. Selon cette échelle, le gisant sans le lion mesure 5 pieds, 1,62 m, ce qui correspond assez bien, en tenant compte dun léger effet de perspective, à sa longueur réelle de 1,67 m. 348. En 1758, neuf sépultures de la famille dEstouteville occupaient le pourtour du chur et une partie du devant de lautel, selon un procès-verbal du 13 juillet qui les décrit, rédigé par lavocat Jean-Baptiste Cherfils. AD76, 19 H 3. Seulement trois dentre elles seront conservées lors des transferts quatorze ans plus tard. Les restes des corps seront déposés dans un caveau sous le chur. Deux tombes de femmes, lune avec gisant, nétaient plus identifiables. Disparaîtront avec elles celle de Jean, chanoine de Rouen (voir note 704), ainsi que trois autres, dont ce procès-verbal présente le grand intérêt de livrer des descriptions relativement précises : A Au même côté de l'epitre au bout de l'autel est la tombe en pierre de liais de messire Robert d'Estoutteville seigr d'Ausseboc suivant l'inscription suivante qui est le long des bords d'icelle Cy gist noble et puissant seigneur messire Robert d'Estoutteville chevalier en son vivant seigneur d'Ausseboc et de Lamerville frere puisné de messire Louis d'Estoutteville seigr dud lieu et aîné de monseigneur Guillaume cardinal archevêque de Rouën, lequel trepassa l'an mil IIIIc LXXVII. le premier jour de juin. Pour l'honneur duquel a fait faire cette tombe damoiselle Antoinette sa fille veuve de feu noble seigr . . . . . . . . . . . senechal héréditaire du Perche. Il sagissait de la sépulture de Robert dE.-Auzebosc (t. 2, ch. 41), seigneur dAuzebosc (Seine-Maritime, a. Rouen, c. Yvetot) et de Lammerville (Seine-Maritime, a. Dieppe, c. Luneray), et non dauleuille & de larmeuille comme on le lit sur une reproduction de sa tombe dans la Collection Gaignières (Gallica, btv1b6907347g ; voir la note 953 concernant les réécritures Gaignières), mort le 1er juin 1477, frère de Louis dE.-Valmont, sénéchal de Normandie, de Guillaume, archevêque de Rouen, et père dAntoinette, mariée à Georges Havart (georges linart sur le dessin Gaignières), maître des requêtes et conseiller de Charles VII. Labbé Cochet témoigne quun fragment de sa pierre tombale se voyait encore dans des décombres vers 1850. Il y a lu ces mots capables dinduire en erreur comme le dit : . . . . cardinal, archevesque de Rouen, lequel trespassa l'an mil IIIIc LXXVII (EAY-2, p. 158). B Derriere l'autel au coin de l'epitre est une tombe de liais avec cette inscription Cy gist noble et puissante dame madame Marguerite de Harcourt en son vivant femme de noble et puissant seigneur monsr Jehan sire d'Estoutteville, laquelle trepassa a Rouen l'an mil CCCC. XXI le IX. jour d'octobre. Priez Dieu pour l'âme d'icelle. Laditte dame representée linealement avec l'ecusson de ses armes consistant en trois fleurs de lys et une barre. Marguerite dHarcourt, épouse de Jean II (t. 2, ch. 24), morte le 9 octobre 1421, était la nièce de la reine Jeanne de Bourbon, femme de Charles V. Jean II, mort dépossédé durant loccupation anglaise, ne fut pas inhumé à Valmont. La tombe de Marguerite est commandée par son fils le cardinal en 1461, quatorze ans après la libération de Valmont. Il la paie 40 livres 10 sols, plus 9 livres 7 sols 6 deniers pour son transport de Rouen, et 30 sols pour installer lad tombe en l'eglise de Vallemont au lieu ou la mere et la seur de mond Sgr sont en sepulture (AD76, G 58, f° 32v). C Au milieu du derriere de l'autel est une grande tombe de marbre moir dont l'inscription n'existe plus, laquelle tombe porte deux representations gravées sur lames de cuivre ainsi que les ornements qui les accompagnent, l'une desquelles represente un homme revetû d'une cuirasse ayant sur l'estomac la figure d'un lyon qui est l'attribut desd. anciens seigneurs d'Estoutteville, l'autre est la figure d'une femme. Lesquelles lames de cuivre sont en partie cassées et détruites. Cette dalle de marbre figurant un couple était celle de Robert VII (t. 2, ch. 23) et de Marguerite de Montmorency, fille du maréchal Charles de Montmorency, si on se réfère au procès-verbal de 1525 (note 116). Robert VII est mort le 28 février 1395/6, selon deux témoins dont son écuyer (Jean-Marc ROGER, Lenquête sur lâge de Jean II dEstouteville (21-22 août 1397), dans le Bulletin philologique et historique (jusquà 1610) du CTHS, année 1975, Paris, 1977, p. 110), Marguerite peu avant le 21 septembre 1406. Comme lécrit l'abbé Cochet, extraits des délibérations capitulaires à l'appui, la cause de cette révolution tumulaire fut la confection d'un autel à la mode et le pavage du chur à la façon du siècle de Louis XV' (EAY-2, p. 159-160). Signalons encore pour conclure cette longue digression que les moines de Valmont, à linstar de ceux dautres monastères, réemployaient les dalles funéraires de leurs abbés pour paver leurs locaux, comme lont montré les fouilles des années 1990. 349. Date mentionnée à plusieurs reprises dans le procès-verbal des translations, ouvert le 15 janvier et clos le 16 septembre 1772 (AD76, 19 H 3), ainsi que sur une plaque gravée contemporaine conservée dans labbatiale. Les déplacements sont effectués avec laccord sous conditions dHonoré III Grimaldi, ayant droit des Estouteville. 350. Alphonse MARTIN, Notes pour servir à l'histoire de l'abbaye de Valmont (1754-1792), Fécamp, 1876, p. 33-34. Extrait du registre des délibérations capitulaires. Conformément aux intentions exprimées dans le procès-verbal le 15 janvier 1772 (f° 2v) : les mausolées seront transférés dans la chapelle collaterale du côté vers l'evangille vis a vis le sanctuaire et presbitaire'. 351. On observe encore dans cette chapelle, lavant-dernière à gauche en comptant de lentrée principale de léglise, sur le mur de droite, la trace maçonnée laissée par la maquette, ainsi que larc semi-circulaire de lenfeu qui apparaît, encadrant le monument, sur un dessin de 1825 exécuté par Espérance Langlois pour la Commission départementale des Antiquités. AD76, 6 Fi 4/106b. Longueur du modèle réduit et de lempreinte : 1,02 m. 352. Arlette SÉRULLAZ, Delacroix et la Normandie, Paris, RMN, 1993, p. 16, 31. Galerie de BAYSER, Catalogue Delacroix, Paris, 2011, n° 4. On y voit lenfeu de la chapelle latérale. Entre 1813 et 1850, Delacroix réside neuf fois à labbaye de Valmont, alors propriété de ses cousins Bataille et Bornot (SÉRULLAZ, ibid., p. 29). 353. AD76, 6 Fi 6/111. 354. SÉRULLAZ, ibid., p. 28, 33, 68. De BAYSER, ibid., couverture et n° 1. La toile a été achetée par la ville de Rouen en 2012. [...] 357. MAINOT, op. cit., p. 110. 358. Les mains refaites en plâtre, visibles sur le dessin de 1832, avaient disparu en 1825 et 1829. Références ci-avant. 359. Contrairement à ce quaffirment certains auteurs anciens, il ne sagit pas du collier de lordre de Saint-Michel, créé par Louis XI en 1469 en référence à la résistance victorieuse, dirigée par Louis dE.-Valmont, du Mont-Saint-Michel face aux Anglais. La parure aurait, peut-être, pu être attribuée à la statue de Nicolas en guise dhommage, mais on ne voit pas de coquilles sintercalant entre les mailles, principale caractérisque de ce collier. En comparaison, le blason de Jean II dE.-Torcy (t. 2, ch. 33), de la première promotion dans cet ordre, tel quon lobserve gravé sur une clé de voûte de la collégiale Saint-Michel de Blainville quil fait construire entre 1489 et 1491, donc de lépoque du cénotaphe, est ceint dun collier à coquilles. 360. Sans doute à la Révolution, puisquil pouvait encore être décrit dans le procès-verbal de 1772 (f° 4v) : Au milieu du sous bassement au côté qui fait face au sanctuaire est un ecusson en relief, portant aussi en relief, sur un fond d'argent, cinq bandes et un lion montant le tout de sable, et est ledit ecusson suporté obliquement, par deux lions aussi en relief'. 361. Relevé in situ. Majuscules, minuscules et ponctuation respectées. La dernière phrase, au lettrage droit, est gravée sur le côté refait. Le second X, situé sur l'arête, peut sembler douteux, mais 1120 est confirmé par le procès-verbal de 1758 (f° 1r), antérieur à la réfection. |