Château médiéval disparu de Charlemesnil

 

Château médiéval disparu de Charlemesnil

Le château, reconstruit par Jeannet d'Estouteville, avec dans son enceinte la collégiale
Sainte-Catherine fondée par le même. Vue nord-ouest. Collection Gaignières (1696). BnF.
Bertrand du Guesclin donne la terre de Charlemesnil à Jeannet d'Estouteville en 1374.
En juin 1379, Charles V autorise
‘son bien ame varlet tranchant' à ‘faire fortifier emparer et
fossoier'
le manoir existant. La construction de la voie ferrée de Rouen à Dieppe,
entre 1846 et 1848, provoque la destruction du château.

 

La présence dans la fratrie de deux garçons prénommés Jean, pour étonnante qu’elle soit, est avérée. Ils sont écuyers leur vie durant, ce qui n’aide pas à les distinguer. Les généalogies traditionnelles copient le père Anselme : Jean, tenant de Charlemesnil1435, est l’aîné des deux ; Jeannet, ‘dit le Jeune’, est le benjamin de la fratrie, tenant de Villebon1436 par son mariage, capitaine du château de Vernon1437, multipliant fonctions et activités1438. Anselme attribue notamment au sire de Villebon les acquisitions des riches domaines d’Hautot[-sur-Seine]1439 et de Bapeaume1440, qu’on retrouve pourtant dans le temporel de la collégiale de Charlemesnil fondée par son frère1441... Ce dernier dote l’établissement de nombreux biens et intérêts qu’il a acquis1442, dont l’île aux Bœufs à Vernon1443. C’est donc manifestement le sire de Charlemesnil qui dispose, par la rétribution de ses activités, d’importants fonds, suffisants pour fonder en son château une collégiale de dix servants, dont huit chanoines prébendés. Gabriel de la Morandière, qui pourtant ne manque pas de subtilité, suit Anselme, et avance que les frères sont nommés plus ou moins indifféremment Jehan ou Jehannet1444. Dans son testament du 1er novembre 1416, le sire de Charlemesnil se désigne lui-même par le diminutif de ‘Jehannet’1445, sous la plume d’un clerc qui s’identifie comme ‘Jehan de la Rue’, en déclarant qu’il sert son ‘tres redoubte seigneur et maistre Jennet d’Estouteville’1446. La nuance est claire pour ce familier. Ses frères, dont Colard, le nomment pareillement ‘Jehannet’ dans deux déclarations de 1391 et 1407 jointes au document ; parmi eux, ‘Jehan d’Estouteville seigneur de Villebon’1447. Il n’est donc pas douteux que, du point de vue de la famille, le prénom Jean se réfère au tenant de Villebon et le diminutif Jeannet à celui de Charlemesnil. Il l’aura reçu enfant et conservé adulte, comme son aîné Nicolas, alias Colard. Ceci bien sûr n’exclut pas la possibilité qu’il puisse être appelé Jean par des tiers, n’appartenant pas à son proche entourage ou ne souhaitant pas se montrer familiers. Dans les documents marqués de son sceau, il est ‘Jehannet’ alors que l’empreinte de cire montre IEHAN DESTOVTEVILLE1448. Le 2 octobre 1374, Bertrand du Guesclin lui donne la terre du Mesnil-Haquet, relevant de son comté de Longueville, bientôt renommée Charlemesnil, en récompense, déclare-t-il, ‘de pluseurs grans et bons services a nous faiz par nos bien amez mess. Colart d'Estouteville, chevalier, seigneur de Torchi, et par Jehannet d'Estouteville, son frere, varlet trenchant du roy mons., et du bon port et gouvernement dudit Jehannet’1449. Le valet tranchant du roi est un écuyer chargé de découper les viandes et de servir à sa table. Le 31 décembre 1374, Charles V nomme ‘capitaine et garde du chastel de Vernon’ son ‘ame vallet tranchant Jehannet d'Estouteville’1450. Celui-ci ne manque pas d’exprimer sa reconnaissance à son bienfaiteur lorsqu’il fonde la collégiale Sainte-Catherine en 1402 : ‘pour messire Bertran du Gleusquin que Dieu pardoint connestable de France qui me donna Charlemesnil’1451 ; et déjà en 1387 lorsque, ‘du chastel roial de Vernon’, ‘Jehanet d'Estouteville, dudit chastel lors cappitaine’, commande un abrégé en prose du poème Chanson de Du Guesclin de Cuvelier, transposition va s’avérer déterminante dans la mythification du personnage1452. On a naturellement tendance à surestimer le rôle de ceux qui laissent le plus de traces. Jeannet n’a pas d’enfants connus, alors que Jean Ier d’E.-Villebon aura une longue descendance. Les frères se font construire chacun un château ; celui de Charlemesnil a depuis longtemps disparu, tandis que celui de Villebon est conservé, superbe représentant d’un type d’architecture médiévale...
Ces éléments, placés ici en digression pour établir la distinction entre les frères, seront développés dans le second volume.

(T. 1, p. 325-328)


1435. À Anneville-sur-Scie, Seine-Maritime, a. Dieppe, c. Luneray.
1436. Eure-et-Loir, a. Chartres, c. Illiers-Combray.
1437. Eure, a. les Andelys, chef-lieu de canton.
1438. HGF-8, p. 96, 99-100.
1439. Seine-Maritime, a. Rouen, c. Canteleu.
1440. Rattaché à Canteleu.
1441. AD76, G 9407.
1442. AD76, G 9405, G 9406, G 9411, G 9420.
1443. AD76, G 9423.
1444. HMEN, p. 218.
1445. Fonds Moreau, op. cit., f° 163v.
1446. Ibid., f° 196v.
1447. Ibid., f° 197r-198v. Le testament de leur frère Guillaume en 1414, rédigé en latin, n’utilise pas le diminutif, mais confirme que le sire de Villebon est le plus jeune : 'Johannem de Estoutevilla de Charlemesnil et Johannem de Estoutevilla juniorem de Villebon' (ibid., f° 86r, 89r).
1448. ISC-1, n° 3437. ISCT, n° 4314.
1449. Michael JONES (éd.), Letters, Orders and Musters of Bertrand du Guesclin, 1357-1380, Woodbridge, Boydell Press, 2004, n° 626.
1450. Léopold DELISLE (éd.), Mandements et actes divers de Charles V, 1364-1380, Paris, 1874, n° 1090, 1095.
1451. AD76, G 9404.
1452. Yvonne VERMIJN, Chacun son Guesclin : la réception des quatre versions de l’œuvre de Cuvelier entre 1380 et 1480, thèse de maîtrise en médiévisme à l'université d'Utrecht, 2010.

 
 

Fossé nord subsistant

Fossé nord subsistant. 2015.